Sous l’Ancien Régime, le roi a le privilège – la liberté dirions-nous aujourd’hui – de loger des artisans dans des lieux qui lui appartiennent : le Louvre, l’Arsenal puis les Gobelins. Être logé par le roi dispense de se soumettre à la tutelle des corporations.
Génie du bois et du métal, Charles-André Boulle (1642-1732) a exercé pendant soixante-huit ans. Fils d’un compagnon menuisier en ébène flamand, il naît à Paris en 1642, la dernière année du règne de Louis XIII. L’enfant est surdoué ; son éducation soignée. Il n’a pas encore 25 ans lorsqu’il devient maître, rang que son père n’a jamais atteint. Bientôt son atelier de marqueterie en bois fait vivre toute sa famille. En 1666, il intègre la manufacture des Gobelins récemment créée, où il travaille sous la direction du peintre Charles Le Brun. En 1672, Boulle a 30 ans ; un logement se libère au Louvre à la suite du décès de l’ébéniste Jean Macé. Voici comment Colbert présente l’affaire à Louis XIV, alors retenu à la guerre : Macé est mort, il a un fils qui n’est pas habile dans son métier, le nommé Boulle est le plus habile de Paris. Votre Majesté ordonnera (…) auquel des deux elle veut donner son logement dans les galeries. Réponse : Au plus habile !
L’atelier en question est modeste et ne sert probablement à Boulle qu’à exposer ses plus belles pièces ; il en conserve un autre en ville. Cependant, être logé au Louvre offre des avantages considérables. Non seulement cette faveur royale émancipe des lois de la corporation, mais en plus, elle contribue à lancer l’artisan. Dès lors les commandes affluent pour Boulle ; et dans les années suivantes, il agrandit son atelier à plusieurs reprises. En 1685, il acquiert même sa propre fonderie, à deux pas du Louvre. Travailler à la fois le bois et le métal aurait été impossible sans ce statut privilégié. Un ébéniste intégré à sa corporation n’avait pas accès à la fonte du métal.
Boulle a porté à sa plus belle expression la marqueterie à découpage en superposition. Les rinceaux de métal se déploient ici sur un fond d’écaille de tortue teinte en rouge (bien visible sur l’image, entre le tiroir et le visage féminin de bronze doré). On a donné à cette technique associant métal, écaille de tortue et bronze doré le nom de « marqueterie Boulle ». Elle illustre parfaitement le faste de l’époque Louis XIV. Nous reviendrons plus en détail sur cette technique dans la partie consacrée au 17e siècle.
Boulle a 72 ans à la mort de Louis XIV, en 1715. Tout en continuant à réaliser quelques pièces, il laisse la direction de son atelier à ses quatre fils qui poursuivent sa manière, sans innovation notoire, comme le rappelle le mot cruel du marchand Mariette : Les fils qu’il a laissés n’ont été que les singes de leur père. En 1720, un incendie détruit son atelier du Louvre, affaiblissant l’entreprise. À sa mort, en 1732, son atelier est démantelé, ses collections et stocks vendus aux enchères. Après paiement des créanciers, l’héritage est quasi nul. Même Boulle n’a pas fait fortune !
Dans la carrière des menuisiers ébénistes, qu’ils soient membres de la corporation ou ouvriers libres, le rôle des marchands était généralement très important.